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Newsletter n°3: Rapport de Thomas Hirschhorn

Fieldwork IV à Bienne du 31 juillet au 6 août 2017

Rapport de Thomas Hirschhorn

Pour résumer et témoigner de mon expérience du ‘Fieldwork IV’ je veux répondre aux deux questions précises qui m’étaient posées pendant mon dernier séjour à Bienne:
“Pourquoi est-il important que des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit
fassent partie de la«Robert Walser-Sculpture»? et Pourquoi est-il important que ces personnes soient payées pour leur travail?”

Parce que la «Robert Walser-Sculpture» est conçue avec la devise “Be an Outsider! Be a Hero! Be Robert Walser!”, il est donc important que des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit en fassent aussi partie. Il s’agit pour moi d’insister sur et par cette devise qui doit me guider tout au long du processus de mon travail. Cette devise m’aide à me focaliser pour faire un travail avec un ‘Public Non-Exclusif’, elle m’aide à projeter cette sculpture dans l’incertain, dans le nouveau, dans le non-garanti, dans ce qui va venir, dans le futur. Cette devise m’aide à ne pas oublier qui était Robert Walser: un Outsider, et elle m’aide à trouver une forme d’hommage: hommage à Robert Walser mais aussi à tous les outsiders et tous les héros. Et enfin cette devise m’aide à ne pas faire une sculpture nostalgique ou romantique. “Be an Outsider. Be a Hero!”-cette magnifique affirmation d’Hélio Oiticica (artiste brésilien)-est ce que jeveux moi-même être: un être humain debout, fier, autonome et souverain. Il est logique que-tout d’abord-je doive faire un effort pour essayer d’impliquer ce ‘Public Non-Exclusif’, ces outsiders, ces héros! C’est pourquoi dès le début de mes recherches à Bienne je suis entré en contact avec le Travail de rue/Gassenarbeit. La «RobertWalser-Sculpture» se veut une sculpture, une sculpture précaire de production, de présence et de rencontre-ce ne sera pas une sculpture de contemplation ou de consommation. Je veux donc travailler-aussi-avec des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit d’abord parce que ce sont des Biennoises et Biennois, et parce qu’ils sont des outsiders-donc des héros. Je veux travailler avec eux parce que Robert Walser pourrait être-aujourd’hui-l’un d’eux. Il est donc logique que j’essaye d’impliquer ces héros, ces outsiders, si j’affirme comme je le fais-vouloir travailler avecun ‘Public Non-Exclusif’. Et s’il y a succès de la «Robert Walser-Sculpture» ce sera le succès d’avoir fait un travail qui inclut, qui ose le contact avec, entre autres, les personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit. S’il y a succès c’est que de leur côté ces personnes s’impliquent, s’incluent d’elles-mêmes et vont au contact de la «Robert Walser-Sculpture» et de ce qu’elle peut produire en évènements.C’est pourquoi il est important que des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit fassent partie de la «Robert Walser-Sculpture».

“Pourquoi est-il important que ces personnes soient payées pour leur travail?” Parce que si j’arrive à convaincre des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit de faire partie de la «Robert Walser-Sculpture» -faire partie veut dire y travailler, y accomplir une mission et remplir des tâches-ces personnes, comme tous ceux qui contribuent à ce projet devront être payées pour leur travail. Payer des personnes qui sont partie prenante d’une œuvre d’art est problématique. Mais cette problématique est une problématique complexe et intéressante car-justement-elle permet à celui qui se fait payer pour son travail de déterminer les raisons de son engagement. Et confronter cette problématique est-pour moi, artiste-le seul moyen d’essayer à la fois d’impliquer un ‘Public Non-Exclusif’, donc des personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit-entre autres. Sinon, cela voudrait dire que seuls ceux qui ont des moyens financiers peuvent facilement prendre part au «Robert Walser-Sculpture», car eux peuvent travailler ‘gratuitement’. Et c’est aussi le seul moyen d’éviter l’hypocrisie et l’incohérence du travail ‘gratuit’ par ‘désintérêt’, par ‘goodwill’, par volontariat ‘parce qu’il s’agit de l’art’ ou parce que l’on peut obtenir quelque chose de ‘plus important’ que l’argent. Cette hypocrisie-dont beaucoup abusent dans le domaine de l’art-peut être remplacée par la problématique du payement-la problématique, notre problématique à tous (artiste inclus) -et par la question de ‘l’intérêt’ qu’elle provoque. L’intérêt de l’artiste? L’intérêt pour la personne qui prend part à l’œuvre d’art? L’intérêt pour l’art? Je veux créer les conditions d’une possibilité de réel ‘intérêt’ pour la personne qui prend part à la «Robert Walser-Sculpture». Il ne m’appartient pas de définir cet intérêt, chaque personne est libre de le définir lui/elle-même en prenant part à la sculpture. Cet intérêt pourrait changer au cours du travail ou de la mission, ou même s’inverser. L’intérêt peut changer parce que la production et les rencontres sont le noyau, le ‘hard-core’ de ce travail.

Logiquement donc, et fidèle à ma devise “Be an Outsider! Be a Hero!” les personnes qui prennent part doivent être traitées en égalité. Il faut que les personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit comme tout autre qui ferait partie de la sculpture se fassent payer équitablement. Je sais que pour des raisons administratives qui font sens il n’est pas possible-ou seulement sous conditions-de payer ces personnes qui fréquentent le Travail de rue/Gassenarbeit, et que ces personnes ne peuvent garder l’argent pour elles-mêmes. Or, il m’importe de les payer en égalité comme les autres car-justement-elles représentent le ‘Public Non-Exclusif’, elles représentent l’outsider etle héros, elles sont le ‘cœur’ de la “Robert Walser-Sculpture”. Cela serait donc injuste de les traiter différemment des autres. C’est pourquoi il est important que ces personnes soient payées pour leur travail.

Thomas Hirschorn, Paris, le 28 août 2017

 

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Fotos:© Enrique Muñoz García